Marchés publics et Développement durable: de la théorie à la pratique
Face à l’urgence climatique notamment, le développement durable est au centre de toutes les attentions et prend une place de plus en plus importante dans les procédures de marchés publics. La nouvelle législation en matière de marchés publics traduit une grande sensibilité politique au développement durable. Cependant, au-delà des textes législatifs, l’enjeu réside désormais dans leur l’intégration concrète dans les procédures de marchés publics. Analyse de Jérôme Frachebourg et Christel Biderbost, spécialistes marchés publics chez Loyco.
Une nouvelle législation accordant une place renforcée au développement durable est entrée en vigueur au 1er janvier 2021 au niveau de la Confédération. Cette législation va prochainement être reprise individuellement par les Cantons par le biais de leur adhésion échelonnée à l’Accord intercantonal du 15 novembre 2019 sur les marchés publics (AIMP 2019).
Une nouvelle boîte à outils
L’objectif de ce nouveau droit des marchés publics a été élargi. Selon l’un des buts de la loi, l’utilisation des deniers publics doit désormais avoir des effets économiques, écologiques et sociaux durables, ce qui relativise l’importance accordée au seul critère du prix des prestations mises en concurrence. Les pouvoirs adjudicateurs sont à présent encouragés à intégrer le développement durable dans les différentes composantes du dossier d’appel d’offres, à savoir les conditions de participation, les spécifications techniques ou encore les critères d’adjudication.
En d’autres termes, une «boîte à outils» est dorénavant mise à disposition des pouvoirs adjudicateurs pour accorder une place plus importante au développement durable dans leurs appels d’offres. Leur marge de manœuvre est ainsi agrandie et il leur appartient de l’utiliser, car cette prise en compte n’est pas automatique.
Les enjeux sur le terrain
Intégrer le développement durable dans les appels d’offres soulève cependant de nombreuses questions dans la pratique et c’est pourquoi nous avons organisé plusieurs événements pour en parler avec les différents acteurs concernés en ce début d’année. Lors des tables rondes des trois petits déjeuners que nous avons organisés à Lausanne, Sion et Genève, les aspects suivants ont plus particulièrement été relevés par les participant⸱e⸱s:
1. La difficulté de concrétiser et d’évaluer les critères liés au développement durable
Être favorable de manière générale au développement durable est une chose. Concrétiser cette volonté par le biais de spécifications techniques et de critères d’évaluation bien conçus de manière à pouvoir évaluer équitablement les soumissionnaires en est une autre. C’est ici sans doute que se situe le défi majeur des années futures pour les pouvoirs adjudicateurs.
2. L’importance des spécifications techniques (cahier des charges)
Inclure les aspects liés au développement durable dans les spécifications techniques du dossier d’appel d’offres, à savoir dans le cahier des charges, constitue une manière souvent plus efficace de favoriser le développement durable que de travailler par le biais des seuls critères d’adjudication. En effet, fixer un critère d’adjudication pondéré par exemple entre 15 et 20% ne permet pas toujours à une offre très performante sur le plan du développement durable de compenser son retard sur d’autres critères, notamment celui du prix. En revanche, fixer des spécifications techniques incluant des exigences en matière de développement durable contraignantes permet d’exclure le cas échéant les offres qui ne les respecteraient pas.
3. La nécessité du point de vue des soumissionnaires d’une standardisation des documents d’appel d’offres en lien avec le développement durable
Les pouvoirs adjudicateurs disposent d’une marge de manœuvre importante dans l’élaboration de leurs appels d’offres. Chaque appel d’offres est unique avec des annexes différentes à fournir et compléter. L’établissement d’une offre demande donc un investissement important de la part des soumissionnaires qui peuvent être amenés à renoncer à déposer une offre du fait de la complexité des dossiers demandés. La demande des soumissionnaires consiste donc en une standardisation des documents d’appel d’offres, notamment dans le domaine du développement durable, afin qu’ils puissent y répondre plus facilement et plus souvent.
4. Les certifications au détriment des petites entreprises
Une notation favorable en matière de développement durable est souvent liée à la détention d’un label ou d’une certification dans le domaine du développement durable. Cela peut poser problème pour des petites entreprises qui ne disposent pas toujours des moyens humains et/ou financiers pour se faire labelliser ou certifier. En effet et à titre d’exemple, le Guide romand pour les des marchés publics réserve les meilleures évaluations aux entreprises certifiées (note de 3.0 à 5.0) alors qu’une entreprise sans certification ne pourra obtenir au mieux qu’une notre de 3 alors qu’elle pourrait être tout à fait exemplaire dans ce domaine. Il conviendra de mettre en place des échelles d’évaluation ne péjorant pas les petites entreprises soumissionnaires.
En conclusion, le trend de l’intégration croissante du développement durable dans les appels d’offres est irréversible. Cette intégration constitue un levier stratégique primordial puisque les volumes d’achats liés aux marchés publics sont très conséquents. Le défi pour l’avenir consistera pour les pouvoirs adjudicateurs à faire preuve d’inventivité pour concrétiser au mieux cette intégration dans la documentation de leurs appels d’offres sans en faire pour autant une «usine à gaz».
Vos contacts marchés publics chez Loyco
Jérôme Frachebourg
Lawyer & Public Procurement Specialist
jfrachebourg@loyco.ch
Christel Biderbost
Public Procurement Specialist
cbiderbost@loyco.ch
Grégoire Mottier
Head of Risk Management
gmottier@loyco.ch