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Juridique - Gestion des risques - Partenariats | publié par Loyco | 21.08.2024

Réseaux sociaux et droit du travail

L’utilisation des réseaux sociaux par les collaborateur·rice·s peut devenir un terrain sensible dans le cadre professionnel et soulève des questions importantes. Entre liberté d’expression et devoirs envers l’entreprise, certains usages peuvent entraîner des conséquences négatives pour l’employeur. Mais alors, comment concilier ces deux dimensions tout en évitant les risques? Notre partenaire CJE, Avocats, Conseillers d’Entreprises explore ici les droits et les devoirs des collaborateur·rice·s dans l’utilisation des médias sociaux dans le cadre professionnel.

Dans certains cas, il est possible que des collaborateur·rices fassent une utilisation des réseaux sociaux problématique au niveau professionnel qui peut entraîner des conséquences négatives, voire préjudiciables pour l’employeur: confidentialité, sécurité et réputation de l’entreprise. Alors, quels sont les droits et les devoirs des collaborateur·rice·s dans l’utilisation des médias sociaux dans le cadre de leur activité professionnelle? Où se situe la limite entre la liberté du·de la collaborateur·rice et son obligation de diligence, de fidélité et de confidentialité à l’égard de son employeur?

(Art. 321a al. 1 CO) – Le collaborateur ou la collaboratrice sauvegarde fidèlement les intérêts légitimes de l’employeur. Cette obligation vaut pour tous les devoirs des collaborateur·rice·s et les parties sont libres de renforcer contractuellement le devoir de diligence et de fidélité. Ce devoir est d’autant plus grand quand le·la collaborateur·rice:

  • occupe une fonction dirigeante;
  • se trouve en contact direct avec la clientèle;
  • a un devoir de représentation de l’employeur.

En contrepartie du devoir de l’employeur de veiller à la protection de la personnalité de ses collaborateur·rice·s (Art. 328 CO), ceux-ci ont le devoir de prévenir tout dommage et de favoriser en tout temps les intérêts de l’employeur, ce qui inclut de sauvegarder sa réputation et de ne pas communiquer à des tiers tout ce qui pourrait nuire à sa réputation ou au crédit de l’entreprise.

(Art. 321a al. 4 CO) – Pendant la durée du contrat, la collaboratrice ou le collaborateur ne doit pas utiliser ni révéler des faits destinés à rester confidentiels, dont il·elle a pris connaissance au service de l’employeur, il·elle est tenu de garder le secret après la fin des rapports de travail en tant que l’exige la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur.

Cette obligation concerne en particulier les secrets de fabrication, d’affaires ainsi que professionnels. Ce devoir est maximal pendant la durée des rapports de travail, mais se réduit ensuite pour se limiter à la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur.

Il est cependant possible de déterminer l’ampleur de l’obligation de fidélité, notamment après la fin des rapports de travail et en particulier, de l’augmenter.

Le collaborateur ou la collaboratrice a le droit d’être présent·e à titre privé dans les médias sociaux et de mentionner l’entreprise dans laquelle il ou elle travaille. Il·elle doit cependant avoir conscience que, par ses propos, il·elle peut générer une perception de son employeur qui peut se répercuter sur son image.

Lié·e par ses devoirs de fidélité, de diligence et de confidentialité, le·la collaborateur·rice doit veiller à ce qu’il·elle communique, car il·elle peut engager sa responsabilité personnelle.

Le·la collaborateur·rice répond du dommage qu’il·elle cause à l’employeur intentionnellement ou par négligence (Art. 321e CO). La faute du·de la collaborateur·rice peut résider dans une violation de ses devoirs contractuels, ainsi que dans une violation de son devoir de diligence et de fidélité, qui se détermine selon le contrat conclu, compte tenu du risque professionnel, du risque d’entreprise et de son instruction.

La responsabilité du collaborateur ou de la collaboratrice est engagée aux quatre conditions cumulatives suivantes:

  • une violation du contrat;
  • un dommage;
  • une faute;
  • un rapport de causalité entre la violation et le dommage.

Il appartient donc à l’employeur de prouver le dommage, son montant, la violation par le·la collaborateur·rice de ses obligations contractuelles, respectivement la violation de son devoir de diligence et de fidélité et enfin le rapport de causalité entre cette obligation violée et le dommage. Le·la collaborateur·rice peut prouver l’absence de faute.

Si l’employeur omet de faire valoir contre le collaborateur avant la fin des rapports de travail des prétentions connues dans leur quotité ou leur principe, la créance en dommages et intérêts est prescrite.

L’emploi d’un logiciel espion pour surveiller l’activité de l’ordinateur professionnel d’un·e collaborateur·rice est en principe illicite et les moyens de preuve acquis illicitement ne sont en principe pas utilisables, même pour justifier un licenciement immédiat.

L’employeur n’a pas un droit illimité de surveillance, même lorsque l’utilisation d’Internet et de la messagerie à des fins privées est interdite. En revanche, il peut exercer une surveillance ponctuelle qui doit avoir été définie avec précision dans le contrat de travail.

L’employeur peut procéder à de la surveillance en respectant les principes applicables en matière de traitement des données (LPD), notamment la proportionnalité, et de la LTr, qui interdit une surveillance permanente des activités du·de la collaborateur·rice (Art. 26 OLT 3). Dans cette hypothèse, l’employeur peut sauvegarder les preuves qui sont alors légalement obtenues.

Il convient de relever qu’il n’y a, en règle générale, pas atteinte à la personnalité du·de la collaborateur·rice lorsqu’il rend les données accessibles à tout un chacun et ne s’est pas formellement opposé à leur traitement (Art. 12 al. 3 LPD).

Si l’employeur à des raisons de penser que les activités d’un·e collaborateur·rice nuisent aux intérêts de l’entreprise, voire qu’il y a des activités illégales, il lui est conseillé de mener en secret des investigations, qui ne sont toutefois pas de sa compétence lorsqu’un acte relève du droit pénal, mais des autorités pénales.

L’employeur diligent peut prévoir dans le contrat de travail des sanctions selon la gravité de l’acte, parmi lesquelles on peut citer:

  • restriction (temporaire, matérielle, technique) de l’usage des réseaux sociaux;
  • interdiction de l’usage des réseaux sociaux;
  • blocage de l’accès à Internet;
  • blocage de l’accès aux réseaux sociaux;
  • avertissement;
  • blâme;
  • peine conventionnelle (si le contrat de travail le prévoit expressément);
  • licenciement ordinaire (Art. 335 CO);
  • licenciement un motif justifié;
  • licenciement immédiat pour de justes motifs lorsque le fait reproché est particulièrement grave et de nature à détruire définitivement les rapports de confiance (Art. 337 CO).

Le collaborateur ou la collaboratrice peut également devoir répondre financièrement, comme mentionné ci-dessus, du dommage causé à l’employeur intentionnellement ou par négligence (Art. 321e CO).

L’employeur peut donner, par exemple dans le contrat de travail, des instructions et des directives générales sur l’exécution du travail et la conduite des collaborateur·rice·s (Art. 321d CO), et, en matière de réseaux sociaux, notamment sur ce qui suit:

  • autorisation ou interdiction d’utiliser les médias sociaux pendant le travail;
  • autorisation ou interdiction de s’exprimer au nom de l’entreprise;
  • règles de comportement sur les réseaux sociaux, même à titre privé, en tant que cela concerne l’activité professionnelle;
  • obligation d’exactitude et de justesse des informations mises sur les réseaux sociaux;
  • limiter les horaires d’utilisation des réseaux sociaux;
  • limiter la durée d’utilisation des réseaux sociaux;
  • rappel de l’obligation de préserver la réputation de l’employeur;
  • rappel de l’obligation de protéger les informations confidentielles;
  • existence d’une surveillance;
  • portée de la surveillance;
  • énumération des sanctions en cas d’utilisation incorrecte;
  • obligation de mettre à jour les informations à la fin des rapports de travail, notamment de ne plus mentionner qu’il·elle est collaborateur·rice de l’entreprise;

L’employeur indiquera clairement quel·le·s collaborateur·rice·s ces directives concernent. Il peut en effet prévoir des règles différenciées, tenant compte des fonctions particulières exercées par certaines personnes, par exemple le conseil d’administration, la direction générale, etc.

Le cas: des messages WhatsApp privés sont lus par l’employeur à la recherche de preuves.

Un employeur a licencié un·e collaborateur·rice pour déficience de management en respectant le délai de congé. Le·la collaborateur·rice a restitué son téléphone portable professionnel après avoir été invité·e à en effacer toutes les données privées.

Durant le délai de congé, l’employeur a licencié le·la collaborateur·rice avec effet immédiat par ce qu’il·elle avait tenu des propos grossiers et indécents et commis des agissements obscènes à caractère sexuel sur son lieu de travail.

À la recherche de preuves dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’employeur a, quelque temps plus tard, récupéré, sans l’autorisation du·de la collaborateur·rice, des conversations WhatsApp privées qu’il·elle avait échangées, via son téléphone portable professionnel avec des proches et des collègues. L’employeur cherchait notamment des preuves pour contester les heures supplémentaires réclamées par l’employé·e. L’employeur a récupéré ces données via le compte iCloud personnel du·de la collaborateur·rice. Les données obtenues ne relevaient pas seulement de la sphère privée de l’employé, mais aussi de sa sphère intime, notamment sexuelle.

Considérant que les preuves avaient été obtenues de manière illicite, les juges les ont écartées. L’employeur a été condamné à verser au·à la collaborateur·rice :

  • plus de CHF 200’000.- au titre d’heures supplémentaires;
  • une indemnité pour tort moral de CHF 5’000.-, motivée par la grave atteinte que l’employeur a portée à la personnalité du·de la collaborateur·rice.

Pour le Tribunal fédéral, l’employeur avait d’autres moyens moins intrusifs de réunir des preuves contre le·la collaborateur·rice, par exemple en procédant à l’audition d’autres employés.

Le cas: envoi par un·e collaborateur·rice d’une vidéo à caractère pédopornographique aux membres d’un groupe WhatsApp.

Un·e collaborateur·rice a été licencié·e avec effet immédiat pour avoir envoyé une vidéo à caractère pédopornographique, accompagnée du commentaire suivant «faites attention à vos maris», aux membres d’un groupe WhatsApp comprenant plusieurs de ses collègues de travail.

L’employeur, ainsi que neuf de ses collaborateur·rice·s, ont déposé plainte pénale à l’encontre du·de la collaborateur·rice qui a été reconnu·e pénalement coupable de pornographie au sens de l’art. 197 al. 4 du Code pénal et condamné·e à quinze jours-amendes avec sursis pendant deux ans.

Le licenciement immédiat prononcé à la suite de cette condamnation pénale a été considéré comme justifié par le Tribunal fédéral.

La formation, la sensibilisation et la responsabilisation des collaborateurs et collaboratrices sont vivement recommandées. Selon la taille de l’entreprise, l’employeur peut désigner un·e responsable de la question des médias sociaux à qui les collaborateur·rice·s peuvent s’adresser. Finalement, l’employeur bien inspiré édictera également des règles concernant utilisation des réseaux sociaux.

 

Cet article a été rédigé par notre partenaire CJE, Avocats, Conseillers d’Entreprises.